Lettre à ma mère

Je t’en ai voulu, je t’ai haïe, je t’ai repoussée, je t’ai enfouie au fond de mon coeur endolori.
Tu m’as fait tant de mal.
Tu m’as tellement handicapée pour ma vie d’adulte.
Tu m’as appris le choc des mots et des gestes.
Tu m’as forcée à me taire.
Tu m’as meurtrie au plus profond de mon âme.
Tu m’as montrée comment enfouir ma colère et la retourner contre moi.
Tu as transformé l’amour de la vie en bile noire et amère.

Tu m’as rendue inapte à la vie, à l’amour, à la maternité.
Tu m’as mis une boule dans la gorge pour ne jamais m’en défaire.

Tu as contrainte mon corps et mon âme à ta violence.

Maltraitance. Même si ce mot sonne faux pour toi, il doit exister pour moi.
Parce qu’aujourd’hui, je veux sentir le bonheur, je veux le vivre à sa juste valeur, pour sa belle rareté. Tant d’efforts pour le gagner.
Des fois je suis découragée, et je veux crier mon sentiment de solitude, de tristesse, la colère que l’on m’aie mis tout ça sur mes épaules, comme un poids sur mon cœur, un bordel dans ma tête.

Mais tu vois, je te pardonne maman.
A l’époque, tu n’as pas pu te soigner.
A l’époque, voir ta douleur était trop dur.
Je t’ai tellement excusée, parlée.
Jamais tu n’as entendu mes conseils, pour que tu ailles mieux.

Tu as tellement été envahie par tes propres émotions au point de ne point voir les miennes, ma souffrance, de fille, d’être humain.
Tu étais noyée et engluée dans ta colère.
Contre les hommes, la vie, contre tous… et même moi.
Tu as fait comme tu as pu.
Tu as fait comme on t’a appris.

Tu n’es pas la seule en cause.

Maman.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que tu as décidé d’embrasser le bonheur. Un peu.
De le décider.
De le faire venir.

De faire la paix avec ce qui t’empêchait de vivre.
Aujourd’hui, je t’ai étreinte, et pour la première fois de toute ma vie, je t’ai ouvert mes bras sans contrainte, sans « devoir », pour la première fois de ma vie, je l’ai fait avec le cœur.
Je crois que ça s’appelle un élan d’amour.

Alors tu vois maman, pour une fois nos moments ont été d’une infinie douceur, comme jamais. Hors du passé, plein de noirceur.
Tu as fait de réels efforts. Pour me respecter, me laisser enfin exister à tes côtés.
Respecter ma Zouzou, mon âme, ma chair.
De petits efforts aux prix d’une grande énergie, un grand chemin parcouru. Brillamment parcouru.
De petites efforts qui font le grand bonheur de ta fille.

Tu vois maman, je crois qu’aujourd’hui, une deuxième naissance a eu lieu. Fais en sorte qu’elle ne meurt pas.

Je t’aime maman.

Ta toute petite fille.

Rothko, White Center, 1950

19 réflexions sur « Lettre à ma mère »

  1. Il est rare que je verse une larme … mais là tout de suite, je l’avoue, je pleure. Parce que ton texte est beau. parce que j’ai l’impression de l’avoir moi même écris. ma mère m’a fait souffrir. aujourd’hui je me suis faite une solide carapace, mais certains mots, certains regards, me font encore très mal.

    aujourd’hui j’arrive à sourire à ma mère. j’ai préféré me taire pour pouvoir apprécier quelques moments avec elle. même si je sais que je me voile la face.

    Et là tout de suite, je t’envoie plein de bonheur !
    bises

    J’aime

  2. Je te souhaite que ce bonheur puisse (re)naître, grandir. j’ai eu la chance d’avoir de super parents, plein d’amour; mais je comprends la détresse des autres. Plein plein de courage pour vous trois!

    J’aime

  3. bravo kiki d’avoir su mettre des mots sur ta souffrance, je verse une larme pour toi et surtout parce que je me reconnais beaucoup dans ces mots..malheureusement..
    Je suis très admirative de ton courage et de ta volonté de donner une 2ème chance à ta mère après tout ça..
    Mon père m’a pourrit l’existence, a donné une couleur très sombre a certains moments de mon enfance et a entraîné ma mère dans cette spirale infernale..
    J’ai su grandir, être plus forte et désormais ils ne font plus partie de ma vie..cela fait 6 ans que je suis partie vivre à 1600 km de chez eux et je suis bien plus heureuse sans eux…
    alors je te souhaite énormément de bonheur et je suis sure que tu es une maman merveilleuse parce que justement toi tu veux donner le meilleur à ta fille!

    J’aime

  4. c’est très beau et très émouvant la justesse de tes mots ont rendus triste mon coeur et fais couler mes larmes , on s’est connu y a longtemps dans nos jeunes années je te re découvre et la face qui est derrière une personne n’est jamais facile à mettre a nu tu le fais à ta façon et c’est poignant , j’espère que cette nouvelle naissance s’est bien passée et que ces premiers temps de vie se feront sans encombre tel un nourrisson a ses débuts tellement dépendant et avide d’amour !
    je t embrasse fort et je suis de tout coeur avec toi <3 jolie kiki
    petite fille devenue belle et grande
    (ça serait pour mon père que je pourrais écrire une lettre de ce genre mais son travail à l'autre bout du monde fait que notre relation s'améliore à son rythme)

    J’aime

  5. Merci les filles pour vos mots. C’était pas facile à dire, mais vital. Difficile à publier mais nécessaire pour toutes celles qui ont encore un peu d’espoir ou de force pour espérer, faire bouger les choses.
    Je sais que je ne suis pas la seule à avoir vécue cela, il y en a qui ont une histoire bien pire.
    Je voulais juste dire qu’un jour, on peut enfin rencontrer notre parent, comme un enfant.
    Merci les filles, ça fait chaud au cœur, et j’ai bien de la peine pour celle qui partage un peu de mon histoire.

    J’aime

  6. Tes mots me touchent tellement… Je suis heureuse pour toi, de cette paix retrouvée, de ce bonheur à vivre avec ta maman.
    La mienne refuse encore d’entendre mes mots et ma version des faits.
    Olala, si j’avais su que j’aurais eu les larmes aux yeux en venant sur ton blog!

    J’aime

    1. Désolée Claire de t’avoir émue comme les autres… C’est pas tout gai ce que j’ai écris.
      Tout n’est pas gagné… mais on verra. C’est un début… enfin.
      Je crois qu’il y a plus dur que d’être parent : reconnaître qu’on a raté quelque chose, qu’on a fait du mal à son enfant. Encore faut-il avoir le courage et la force de le voir. Courage !

      J’aime

  7. Très touchant. En tant que jeune maman, j’ai comme une envie de te prendre dans mes bras mais comme je peux pas ! j’ai juste envie de te dire bravo pour ce texte qui à dû être dur à partager. la bise

    J’aime

  8. Quand on n’a plus sa Maman , on est très malheureuse . Il arrive un moment où on réalise que sa propre mère , est une femme comme vous et moi . Si cette femme affronte veuvage , alcoolisme , hémiplégie , et longue fin de vie d’enfer et finit par mourir , vous effacez le passé . Votre mère devient votre enfant . Ma mère a été violente , alcoolique , haineuse , méchante : j’ai eu honte d’elle , je suis devenue alcoolique , par imitation pour me rapprocher d’elle je m’en suis sortie, j’ai eu des conflits terribles avec mes enfants , un cancer du sein ; on n’en a jamais parlé . Elle était au-dessus de tout ça , je ne sais pas expliquer , j’ai compris ma mère en murissant , le pardon cela n’existe pas , cela ne sert à rien ; il faut essayer d’être heureuse , d’oublier , franchement comment dire : on n’a pas assez de temps sur terre pour vivre heureux , il faut être heureux maintenant et oublier . Le pardon non ! l’oubli , l’acceptation , le bonheur , oui ! et pardon s’il vous semble que mes mots ne sonnent pas juste .

    J’aime

    1. Tes mots sonnent juste pour toi : c’est ta vérité. Je n’en veux pas à ma mère, je l’aime, mais je doute juste que la vie ne me donne une belle vraie relation. Quand on a pris le plis dans un sens, difficile de changer la donne. Et aujourd’hui, je n’en ai ni l’envie, ni la force. Aujourd’hui, j’essaie de m’aimer moi, mon Ours, ma Zouzou. Le reste peut bien attendre.
      En tout cas tu as pu faire un beau chemin et être en paix avec tout ça. Il est un peu tôt pour moi. Peut-être dans une autre vie…

      J’aime

      1. Oui , je comprends ton point de vue , j’apprécie que tu aies le courage d’en parler avec du recul. Quand la vie passe (j’ai 64 ans) avec son lot d’épreuves , on prend une espèce de maturité : apprendre à se taire ,apprendre à écouter et accepter des situations difficiles parcequ’un jour il y a un inversement de la tendance au malheur , il y a des cadeaux de la vie et d’abord être en paix avec soi , se pardonner à soi-même , ses choix (je parle pour moi surtout) et se pardonner sa manière de se conduire (la colère, les insultes , le pétage de plomb) et sa propre bêtise .
        Ce serait à refaire : je me préserverai , je ne m’impliquerai pas dans les problèmes des autres , je me libèrerai de mes dépendances affectives. Le confort c’est la liberté et c’est aussi un luxe , vivre libre sans toutes ces pensées noires dans la tête.
        C’est la vie qui est moche , ce ne sont pas forcément les gens.
        Oui bien-sûr il y a des gens stupides , méchants , manipulateurs et c’est ceux-là qu’il faut fuir ! mes mots sont écrits spontanément et ne décrivent qu’une situation bien personnelle qui ne peut convenir à tout le monde. J’ai eu des conflits qui m’ont crucifiée , un jour cela s’est apaisé et là je dis MERCI LA VIE , je le méritai certainement.
        C’est sûr aussi qu’il faut faire du tri dans ses relations, ne fréquenter que les gens simples , sincères , honnêtes , intelligents , bien intentionnés , SAINS ! de corps et d’esprit , mais cela on ne l’apprend qu’à ses dépens. Etre sûre de soi et ne pas avoir honte d’être soi , ne pas tenir compte du jugement des autres.
        Maman , j’ai toujours eu honte d’elle et de ses écarts : quand elle s’est affaiblie , franchement je me suis penchée sur sa vie et je me suis trouvée dtrès égoïste , arrogante , stupide . Il faut dire que Maman a été violente en paroles , en attitudes (ou j’ai oublié) , ce sont mes petits-frères qui ont écopé. Je regrette qu’en ce temps-là , la famille , la société , n’ait jamais prété attention à une jeune femme alcoolique qui a eu 6 ans en 9 ans .
        LOL

        J’aime

Laisser un commentaire